dimanche 6 décembre 2015

La révolution néolithique a-t-elle modifié le climat ?


La révolution néolithique a-t-elle modifié le climat ?
Les pratiques agricoles de nos ancêtres auraient-elles commencé à réchauffer le climat des milliers d'années avant que nous ne brûlions industriellement du charbon et conduisions des voitures ? Bien que controversée, cette hypothèse récente a ses arguments.

William Ruddiman

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Rizières en terrasses de la province de Guizhou en Chine qui existent depuis quelque 2000 ans.
Georg Gerster, Photo Researchers, Inc.
Dans ce numéro

Pour la science N°330
Nos ancêtres ont-ils modifié le climat ?
L'auteur
William Ruddiman, paléo-océanographe, est professeur émérite de sciences de l'environnement à l'Université de Virginie, aux États-Unis.

Selon la plupart des climatologues, les activités humaines ont commencé à réchauffer le climat de la Terre au XXe siècle. Avec l'avènement de centrales et d'usines à charbon, les sociétés industrielles se sont mises à libérer de grandes quantités de dioxyde de carbone (CO2) et d'autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère – des émissions que les véhicules motorisés sont venus renforcer. Selon ce scénario, les populations humaines de l'ère industrielle sont responsables non seulement de l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, mais aussi, au moins en partie, de la tendance au réchauffement global qui l'accompagne.
Cependant, les hommes de l'ère industrielle ne sont peut-être pas les premiers à avoir modifié de façon globale le climat. Je suis récemment parvenu à la conclusion que nos ancêtres agriculteurs ont commencé à émettre ces gaz dans l'atmosphère il y a plusieurs millénaires, et que la modification du climat global sous l'effet des activités humaines est intervenue bien plus tôt qu'on ne le pensait.

De nouveaux indices suggèrent que les concentrations atmosphériques en dioxyde de carbone se sont mises à augmenter il y a environ 8 000 ans, alors qu'elles auraient dû chuter si elles avaient suivi la tendance naturelle. Environ 3 000 ans plus tard, la même chose s'est produite pour le méthane (CH4), autre gaz à effet de serre. Les conséquences de ces hausses surprenantes ont été notables. Sans elles, les températures du Nord de l'Amérique et de l'Europe auraient été inférieures de trois à quatre degrés à leurs valeurs actuelles – les températures auraient été suffisamment basses pour perturber l'agriculture. En outre, un début d'ère glaciaire, marqué par l'apparition de petites calottes de glace, serait probablement apparu il y a plusieurs milliers d'années dans certaines parties du Nord-Est du Canada. Au lieu de cela, le climat de la Terre est resté relativement chaud et stable au cours des derniers millénaires.

Ces hausses anormales des concentrations en gaz à effet de serre et leur influence sur le climat avaient échappé à notre attention. Je me suis intéressé à cette question et me suis aperçu qu'il y a environ 8 000 ans, l'évolution des gaz à effet de serre s'est modifiée : on ne pouvait plus la déduire des comportements antérieurs, qui étaient cycliques et réguliers. J'en ai conclu que les activités humaines liées à l'agriculture – le déboisement et l'irrigation des cultures en particulier – avaient libéré du dioxyde de carbone et du méthane supplémentaires dans l'atmosphère. Ces activités expliqueraient à la fois les renversements de tendance des gaz à effet de serre et leur augmentation jusqu'au début de l'ère industrielle, augmentation qui s'est en outre accélérée avec l'essor technique et économique de l'humanité.

La thèse selon laquelle l'homme a modifié le climat depuis plusieurs millénaires est, certes, provocante et controversée. Certains scientifiques y ont réagi avec un enthousiasme mêlé de scepticisme, comme c'est souvent le cas avec les idées nouvelles, et des tests sont en cours pour vérifier cette hypothèse.

Les carottes de glace nous renseignent

L'hypothèse que j'ai proposée s'appuie sur plusieurs décennies de progrès dans la compréhension des changements climatiques à long terme. Dans les années 1970, les scientifiques ont appris que trois paramètres caractérisant les variations prévisibles de l'orbite de la Terre autour du Soleil ont exercé un effet prépondérant sur le climat global à l'échelle du million d'années. En conséquence de ces cycles orbitaux, dont les périodes respectives sont de 100 000, 41 000 et 22 000 ans, la quantité de rayonnement solaire atteignant le globe au cours d'une saison donnée peut varier de plus de dix pour cent. Au cours des trois derniers millions d'années, ces changements réguliers de l'ensoleillement terrestre ont produit une série d'ères glaciaires (époques où de grandes parties de l'hémisphère Nord étaient recouvertes de glace) alternant avec de courtes périodes interglaciaires plus chaudes.

Les quelques millions d'années durant lesquels s'est déroulée l'évolution des hominidés englobent ainsi des dizaines de cycles climatiques. À la fin de la période glaciaire la plus récente, les banquises, qui avaient recouvert le Nord de l'Europe et l'Amérique du Nord pendant les 100 000 années précédentes, ont rétréci, et elles ont totalement disparu il y a 6 000 ans. Peu après, nos ancêtres construisaient des villes et inventaient l'écriture. Pour de nombreux scientifiques, les progrès de la civilisation sont en grande partie dus à cet épisode naturellement chaud séparant deux ères glaciaires moins favorables, mais, selon moi, cette théorie ne reflète qu'une petite partie de la réalité.



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